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TEMOIGNAGE// Xavier Hugol-Gential, 32 ans, a travaillé en tant que chef de produit pendant sept ans chez Johnson & Johnson. En 2020, il a décidé de se reconvertir. Un an et demi plus tard, il est devenu le fromager producteur 93.
Par Marion Simon-RainaudPublié le 1 déc. 2021 à 12:39Mis à jour le 1 déc. 2021 à 13:05
« Après une licence d’économie à Lyon, je suis entré à Sup de Co Reims, devenu depuis Neoma. Originaire de Valence (26), je me suis installé à Paris pour mon premier stage en agence de communication en 2012. Puis j’ai effectué mon stage de fin d’études chez L’Oréal.
Dans la foulée, en 2014, j’ai été embauché chez Johnson & Johnson et j’y suis resté sept ans. Au départ, j’étais plutôt chargé du marketing pour les cosmétiques, ensuite j’ai évolué en tant que chef de produits dans les dermo-cosmétiques pour des marques comme Biafine ou Neutrogena. A la fin de ma première carrière, je chapeautais les produits d’hygiène féminine Vania et Nett.
C’était une super école. En tant que chef de produits sur le périmètre de la France, j’avais des objectifs de vente à atteindre, grâce à différents leviers : les supports de communication, la publicité, le marketing, etc. C’était comme être à la tête d’une mini-entreprise. La seule grosse différence : on dépend de la stratégie de groupe établie par la hiérarchie, donc on ne décide pas tout seul. Et ça peut être frustrant.
«J’ai profité d’un plan de départs»
Mais, l’ambiance était bonne, l’environnement de travail très positif, le management bon, je suis parti sans aucune amertume. J’étais juste à une étape de ma vie où je voulais autre chose. J’ai alors profité d’un plan de départs en février 2020 pour entreprendre.
Je voulais rester dans le concret. A un moment, je me suis interrogé sur la fabrication de cosmétiques. Mais la plupart des petites boîtes que je connais ne s’en sortent pas car c’est très cher à produire. Certaines sont même obligées de sous-traiter.
Le fromage est un produit qui me plaît. J’ai une certaine affinité avec les produits laitiers. J’adore l’idée de partir d’une matière première (lait) et de pouvoir la transformer en toute sorte de choses (fromages, beurre, crème, etc.). En plus, avec l’artisanat, on reste maître à bord.
Ma réflexion est arrivée comme un déclic. Un jour, je me suis dit : ‘Mais pourquoi on ne produit pas de fromage en ville ?’ Alors j’ai commencé à me renseigner et je me suis dit qu’allier fromage et ville était une idée intéressante. Cela permet de maximiser la logique de circuit court.
« Je vivais ma meilleure vie »
En étudiant le secteur, je me suis rendu compte qu’il était segmenté en deux portions très déséquilibrées : d’un côté l’immense majorité de producteurs industriels et de l’autre les artisans fermiers, qui sont les détenteurs du savoir-faire. Et on risque de le perdre…
Lire aussi : Ces métiers qui sentent : ils sont poissonnier, boucher, fromager, boulanger et nous racontent leur vocation
Grâce à mes conditions de départ avantageuses, j’ai pu prendre le temps nécessaire pour me former et construire mon projet, étape par étape. J’ai été à l’Ecole nationale de l’industrie laitière. Entre les cours et les stages, cela m’a pris trois mois au total.
J’ai pris un peu de retard avec le Covid. Au total, le processus d’ouverture de la fromagerie m’a pris un an et demi. Mais, la phase de préparation ne me dérangeait pas. En vrai, je vivais ma meilleure vie (rires).
Un jour, un formage
J’ai lancé un compte Instagram : 1jour1fromage . Le principe était simple : chaque jour, je testais un fromage différent, je le goûtais, le prenais en photo et le décrivais. Peu à peu, une communauté s’est créée autour du fromage. A la fin, j’ai atteint 6.700 abonnés !
Je suis progressivement monté en compétences sur la mise en valeur des fromages et aussi niveau goût. Et j’ai fini finaliste de la Coupe de France des fromagers en 2021 !https://a9eaf6739aed8bce1fb927153b42f3e1.safeframe.googlesyndication.com/safeframe/1-0-38/html/container.html
En parallèle, j’ai trouvé le local, fait les travaux et même pu recruter deux personnes : Regis en boutique, qui me suivait sur ma page Instagram, et Bastien chargé de la production, ex-ingénieur lui aussi en reconversion.
On a ouvert la fromagerie le 22 octobre 2021. Et le public est au rendez-vous. On achète le lait à des producteurs situés à moins de 100 km de la boutique à Saint-Ouen. C’est une ville en pleine mutation avec un passé industriel fort, ça m’a paru pertinent de m’implanter dans le 93. Et le public est au rendez-vous !
Côté sous, pour monter le projet, j’avais un apport personnel, que j’ai complété par un emprunt classique à la banque. En plus, par un crowdfunding, j’ai récolté plus de 18.000 euros.
Finaliste de la coupe de France des fromagers
Enfin, j’ai été lauréat du Réseau Entreprendre 93 et j’ai obtenu un prêt d’honneur [de 15 à 50.000 euros sans intérêt ni garantie, NDLR] qui m’a bien aidé. Ce concours est un vrai coup de pouce, Michel & Augustin ou encore la brasserie Gallia l’ont remporté. Ce réseau permet aussi d’échanger avec des entrepreneurs, de ne pas être tout seul.
Malgré tout, je suis toujours officiellement demandeur d’emploi. Je ne m’en fais pas, c’est normal après seulement un mois d’ouverture. Je ne pense pas me dégager de salaire pendant un an encore.
D’ici là, j’espère pouvoir me verser un salaire net autour de 3.000 euros par mois. Mais le réel objectif reste la croissance pérenne de Fromaville et sa rentabilité, ma rémunération en découlera forcément ! »
Propos recueillis par Marion Simon-Rainaud