@CENTREIFFO Par Laurent Gérard – Le 10 novembre 2022.
L’idée que le salarié assume une partie du coût de son compte personnel de formation aurait été envisagée par le gouvernement dans le cadre de l’examen du projet de loi finances 2023, selon Les Echos du 7 novembre. Côté salariés, la CGT revendique une augmentation des cotisations pour éponger le déficit de France compétences. La CFE-CGC alerte sur un risque de désaffection des cadres en cas de reste à charge de 30 à 40%. Côté entreprises, la CPME prône un reste à charge différencié, non systématique.
« Augmentons les cotisations ! Elles ne sont plus suffisantes, c’est clair », résume Angeline Barth, secrétaire confédérale de la CGT, en charge de la formation professionnelle. Selon elle, la réforme de 2018 a « tout misé sur le compte personnel de formation et en a fait un objet central », au détriment des autres modes de financement de la formation professionnelle. « La fin de la mutualisation des fonds pour les entreprises de 50-300 salariés pousse les salariés de ces entreprises à consommer leur CPF. Et les entreprises qui les emploient en sont bien conscientes ». Même dans les grands groupes de plus de 300 salariés, assure-t-elle, avec des services RH (ressources humaines) étoffés, on constaterait une forme de « chantage » au CPF sur les formations type Caces (certificat d’aptitude à la conduite en sécurité), du genre, « si tu ne fais pas ton Caces via ton CPF tu n’auras pas les primes prévues ».
Co-investissement
« Cette tension sur les financements du CPF est aussi le signe d’un autre échec : celui du co-investissement des branches sur le CPF du salarié », poursuit la représentante de la CGT. Selon elle, ce co-investissement est totalement « non abouti, la Caisse des dépôts n’offrant toujours pas un système souple et simple de gestion de fonds » provenant soit des entreprises, soit des accords paritaires de branches, et pouvant abonder au cas par cas le CPF d’un salarié, dans une relation de co-construction.
Par manque de fonds légaux et de fonds d’abondement, le CPF devient « un droit opposable du salarié de moins en moins à sa main », conclut Angeline Barth.
Ticket modérateur
« Il ne s’agit aucunement de nier la liberté du salarié à utiliser son CPF, et de limiter ce faisant son épanouissement professionnel », affirme de son côté Stephane Heit, vice-président de la CPME en charge de la formation professionnelle depuis septembre 2022. Mais, poursuit-il, au regard des tensions financières, la CPME est tout à fait favorable à l’idée d’une prise en charge, ou d’un reste à charge, voire d’un ticket modérateur – « le libellé exact reste à préciser »- à la charge du salarié dans le cadre de son CPF. Car, explique-t-il, « le constat est clair aujourd’hui : le CPF n’est pas majoritairement utilisé pour développer des compétences professionnelles, que ces compétences soient en rapport direct ou pas avec les besoins de l’entreprise du salarié ».
Ouverture à l’ensemble des certifications?
Stephane Heit estime donc qu’il faut « s’interroger sur le fait de savoir si le CPF doit rester ouvert à l’ensemble des certifications, ou sur le fait de définir des certifications prioritaires. Ces débats doivent s’ouvrir ». Par ailleurs, ajoute-t-il, « nous n’en sommes aujourd’hui encore qu’au stade de l’idée, toute la mécanique reste à affiner : ticket de base ? taux fixe ? taux variable ? Mais l’idée est sur la table ».
Abondements
En revanche, le représentant de la CPME affirme que cette idée d’un reste à charge ne devrait pas être « systématique ». Ainsi, lorsque le CPF se déroule dans le cadre d’un co-investissement entre le salarié et son entreprise, au travers de l’apport d’abondements de l’entreprise ou dans le cadre d’un accord paritaire conventionnel de branche, ou dans le cas d’un projet de CPF validé par un conseil en évolution professionnelle, aucun reste à charge ne serait à assumer par le salarié désireux d’utiliser son CPF.
Absence de mécanisme souple de gestion des abondements
« Le gros problème aujourd’hui, fait valoir Stephane Heit, c’est l’absence de mécanisme souple et fluide de gestion des abondements CPF par la Caisse des dépôts et consignations. Avoir un système de gestion fluide et rapide des abondements CPF constitue désormais un enjeu majeur ».
Explosion de consommation
« En 2018, quand on écoutait le directeur de cabinet de Muriel Pénicaud, Antoine Foucher, et l’Etat, ils nous disaient qu’il n’y aurait pas de problème de financement, car les cotisations patronales seraient augmentées en conséquence s’il le fallait », se souvient quant à lui Jean-François Foucard, en charge des questions de formation professionnelle à la CFE-CGC. « Nous, partenaires sociaux, on leur a dit qu’on attendait de voir. Et on a alerté très tôt sur un risque d’explosion de la consommation : ils n’ont rien voulu entendre ».
Selon lui, le système a été « ouvert », mettant fin au système des listes des partenaires sociaux qui permettaient de « limiter la consommation par rapport à une enveloppe finie, et de garantir la qualité et la valeur sur le marché de l’emploi de la formation délivrée ». Aujourd’hui, « tout est libéré pour une capacité de financement de 1 milliard, avec un niveau effectif de consommation passé à 2,7, puis 3,5, et qui pourrait atteindre les 6 ou 7 milliards si les co-investissements fonctionnaient ».
Jean-François Foucard estime aujourd’hui que « le système consomme, mais ne produit pas grand-chose. Beaucoup de CPF servent à autre chose qu’un intérêt professionnel. Suivre le CAP cuisinier en vidéo ne sert pas à devenir cuisinier professionnel, et 60 % des CPF se font sur le répertoire spécifique ».
Réduire le financement du répertoire spécifique
Plutôt que ce reste à charge pour le salarié, poursuit-il, il faudrait « décider que plus aucun fonds mutualisé ne finance une formation du répertoire spécifique qui ne produise pas d’effet professionnalisant ». Au besoin, il faut « faire le tri des certifications du répertoire spécifique présentant quelques intérêts professionnalisants ». Il rappelle qu’il y avait 3 niveaux au début dans ce répertoire selon le niveau de professionnalisation. « Le collectif n’a pas à payer s’il n’y a pas d’impact professionnalisant ».
Risque de désaffection des cadres
Selon Jean-François Foucard, « les réformateurs de 2018 ont mis fin aux catégories. Maintenant, ils ne veulent pas revenir en arrière, avouer leur erreur, et perdre la face. Alors qu’ils se sont moqués des partenaires sociaux et des listes ». La seule solution qui leur reste est de créer un reste à charge, en se disant, « soit c’est l’entreprise qui le paie parce que cela l’intéresse, soit c’est le salarié s’il est motivé ». Mais à quel niveau serait ce reste à charge ? « 5 % entendait-on il y a 3 semaines. De 30-40 % entend-t-on depuis plus récemment. Si les entreprises ne co-investissent pas, un tel reste à charge va faire baisser la consommation de CPF : les cadres s’en détourneront, les ouvriers n’auront pas les moyens de financer sur leurs deniers propres. Ce faisant, on ne libère plus l’appétence, et si on le fait bêtement, on tue le CPF ».