@Chloé Marriault

Publié le 4 nov. 2021 à 18:30Mis à jour le 13 févr. 2023 à 16:19

Deux jours et demi. C’est le temps que Fanny a tenu en fac de médecine, après avoir décroché son bac. Pourquoi ? La charge de travail s’annonçait trop lourde. Cette bonne élève, dont le « mental est fragile à ce moment-là », sent qu’elle ne tiendra pas le coup. « Trop de pression, et une atmosphère où régnait la compétition », décrit-elle. Elle a « un peu honte d’abandonner » car ces études-là, elle en rêvait depuis des années. Et surtout, elle n’a pas réfléchi à un plan B.

Ses parents lui suggèrent une licence en information et communication. « Au vu des matières, je me suis dit que ce serait intéressant », explique la jeune femme, aujourd’hui âgée de 24 ans. En effet, les cours et l’ambiance lui plaisent. Mais au bout d’un an et demi, nouveau rebondissement. « Je voyais mes camarades de classe se projeter sur tel ou tel métier. Moi, pas du tout. J’étais démotivée, j’avais l’impression d’étudier pour étudier, sans réel objectif. » Son choix est fait : Fanny quitte l’école en milieu de deuxième année. Pour quoi faire ? Elle l’ignore.

Elle décroche un job étudiant chez Ikea. « Là, mes parents m’ont dit qu’il fallait vraiment que je me pose et que je réfléchisse à ce que j’avais envie de faire… », raconte-t-elle. Mais elle préfère mettre ces questions sous le tapis. Faire le point l’angoisse, elle a le sentiment qu’elle a déjà « grillé deux ans », qu’elle n’a plus le droit à l’erreur et que son choix l’engage pour la vie.

Des études dans quatre filières

A l’approche de la rentrée, elle n’a toujours aucune idée de quel cursus entamer. Ses parents la voient bien en architecture. « J’aimais les maths et l’art, je me disais que ça avait du sens et que ça pouvait matcher », se rappelle-t-elle. Enième désillusion. « Les cours étaient trop abstraits et j’avais l’impression de ne pas avoir la créativité nécessaire », poursuit-elle. En décembre, elle quitte son cursus après quatre mois de cours, convaincue qu’elle n’est pas à sa place.

Nouveau retour à la case départ. Plus douloureux encore que les précédents. Elle consulte un psychologue pour l’aider à remonter la pente. En parallèle, elle commence un emploi de conseillère de vente dans un magasin. La révélation. « J’arrivais enfin à me projeter dans un secteur : le commerce », sourit-elle. Après six mois de contrat, elle se lance la rentrée suivante dans un DUT techniques de commercialisation. Puis, elle embraye sur une licence 3 en économie et gestion. Désormais, elle étudie en école de commerce, à Skema, où elle est épanouie.

Comment expliquer que certains étudiants, comme Fanny, en viennent à changer de cursus à de multiples reprises ? Pour Vincent Troger, maître de conférences honoraire en sciences de l’éducation, cela s’explique entre autres parce qu’ils n’ont pas assez d’opportunités pour se connaître et réfléchir à leurs envies lors de leur scolarité. « Le système français est très académique, il laisse peu d’opportunités d’expérimenter. À l’inverse, aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni par exemple, les étudiants font partie d’une équipe de sport, font du théâtre, de la musique… Et cela s’inscrit pleinement dans leur scolarité », observe-t-il.

Agnès van Zanten, sociologue de l’éducation, abonde. « Dans les pays nordiques, il est très bien vu et courant de faire une année de césure après le bac pour avoir des expériences professionnelles diverses, voyager… En somme : se découvrir », souligne-t-elle. A cela s’ajoutent les petits jobs après les cours, le week-end ou pendant les vacances, qui sont la règle pour nombre d’adolescents en Scandinavie ou dans les pays anglo-saxons. Au final, toutes ces expériences permettent de faire un choix plus éclairé. En France, à l’inverse, « on valorise les trajectoires linéaires. On passe son bac, on étudie, et si tout va bien, on entre sur le marché du travail avec un master à 23 ans. »

Fac de médecine, écoles d’ingé et éco-gestion

C’est justement cette volonté de ne pas traîner qui a poussé Yacine, 25 ans, à changer de cursus « sans prendre de recul ». Après le lycée, la bachelière, qui se voit devenir urgentiste, s’oriente en médecine. Elle redouble la première année (ex-Paces), sans succès.

« J’ai appris en milieu d’été que je ne passerais pas en deuxième année, rembobine-t-elle. Comme j’avais un bac S, de bonnes notes en maths et en physique et que mon père est ingénieur, je me suis dit « allons faire de l’ingénierie ». Un choix fait en vitesse, sans me demander si ça allait me plaire. »

Elle commence des études à l’Université Paris-Sud à Orsay mais trouve le programme trop théorique. Après quatre mois de cours, elle déserte pour rejoindre l’ECE Paris, une autre école d’ingénieurs. « J’avais de bons résultats mais… ça ne me plaisait toujours pas », lâche-t-elle. Au bout d’un an et demi dans l’établissement, elle quitte ce cursus, sans perspective. Son constat à ce moment-là : « J’aurais dû m’accorder du temps pour réfléchir à la sortie de médecine… »

Six mois plus tard, après d’infinies recherches sur internet et une rencontre avec un conseiller en orientation, elle opte pour une licence en économie gestion. Bingo. Cette fois-ci, les cours lui plaisent. Seul hic : « J’ai commencé ma licence à 22 ans, avec des gens qui en avaient 18. J’ai senti une vraie différence de maturité, nous n’avions pas les mêmes centres d’intérêt », raconte-t-elle. A 25 ans, elle est aujourd’hui en M1 en management et RSE.

Des cursus pas en phase avec les souhaits des étudiants

Fanny et Yacine ont changé de voie après avoir pu étudier dans le cursus qu’elles désiraient initialement. Certains n’ont même pas cette opportunité. « Beaucoup de réorientations s’expliquent parce que les lycéens n’ont pas obtenu le voeu qu’ils souhaitaient sur Parcoursup », explique Alban Mizzi. Ce doctorant en sociologie à l’université de Bordeaux prépare une thèse sur la plateforme d’admission dans l’enseignement supérieur.

Depuis que ce système a remplacé Admission Post-Bac (APB) en 2018, les terminales ne peuvent plus hiérarchiser leurs voeux d’orientation. Si leur souhait favori est une filière en tension (psycho ou Staps par exemple), ils ont tendance à ajouter des cursus « qui les intéressent de loin » pour ne pas se retrouver sans rien à la rentrée. « A la fin de l’été, des bacheliers sont encore sur liste d’attente dans la filière qu’ils voulaient intégrer en priorité. Plutôt qu’attendre, certains se résignent à accepter le voeu qui les attire moins car il faut préparer la rentrée, trouver un logement… », développe le chercheur. Chargé de cours en sociologie, il est lucide : « Je sais bien que nombre des étudiants que j’ai en face de moi voulaient aller en psycho et sont là par défaut. »

Parmi les bacheliers en 2015 inscrits en L1 l’année de leur baccalauréat, 42,2% ont obtenu leur diplôme en trois ou quatre ans, d’après les données du ministère de l’Enseignement supérieur. Un chiffre qui laisse présager la proportion importante d’étudiants qui changent de voie.

Cesser de faire une hiérarchie entre les filières

Les réorientations multiples peuvent aussi s’expliquer par des erreurs d’aiguillage au collège, pense Bruno Magliulo, ancien inspecteur d’académie et spécialiste des questions d’orientation. « On ne jure que par la filière générale, fustige-t-il. On envoie les collégiens qui ont de bons résultats au lycée général, ceux qui en ont de moins bonnes notes en filière technologique, et ceux qui ont les plus mauvaises notes en filière professionnelle. Et ce, en se basant presque uniquement sur leurs notes, et trop peu sur leurs aspirations ! »

C’est ce qui est arrivé à Wilhem, 25 ans. En classe de 4e, il était parmi les derniers de sa classe. Au moment du stage de découverte en 3e, l’adolescent, qui habite en pleine campagne, va chez un exploitant agricole qu’il connaît. Par facilité, plus que par intérêt. Vient alors le moment de choisir son orientation. « Je n’avais pas d’ambition précise et un niveau scolaire limité. Les profs m’ont très fortement poussé vers un Bac pro agricole, au vu de mon stage passé », développe-t-il.

Son bac pro agricole en poche, il poursuit des études en BTS à l’école d’agriculture d’Angers, puis une licence professionnelle en biologie animale. Ensuite, il est perdu. Il ne sait pas quoi faire car l’agriculture, il l’a choisie « par défaut ». Sur un coup de tête, il prend des billets pour l’Australie. Après deux expériences dans l’agriculture sur place, sa conclusion est sans appel : ce secteur n’est pas fait pour lui.

« J’ai décidé de commencer des études en comptabilité-gestion, seule matière qui m’avait particulièrement intéressé pendant le BTS, relate le jeune homme. Une décision pas facile à prendre car mes diplômes ne donnaient aucune passerelle vers cette filière. » De retour en France, il s’inscrit dans un cursus privé, car les inscriptions à la fac sont déjà bouclées. Il fait un DCG (Diplôme de comptabilité gestion), équivalent à une licence. Aujourd’hui âgé de 25 ans, il termine tout juste son DSCG (Diplôme Supérieur de Comptabilité et de Gestion) en alternance.

Mieux vaut s’épanouir en tant que futur plombier qu’errer sans réelle perspective en fac de lettresBruno Magliulo, auteur de SOS Parcoursup

D’autres se retrouvent dans le cas contraire : parce qu’ils ont des bonnes notes, on les incite à faire de longues études, alors même qu’ils aspirent parfois à faire une formation courte et professionnalisante. « Dans l’imaginaire collectif, plus tu vas loin dans tes études, plus tu iras loin dans ta vie », déplore Justine Delahaye, co-autrice de Va t’faire vivre, un livre sorti en septembre 2021 aux Editions Marabout rassemblant des conseils pour « traverser cette drôle d’époque »« Plusieurs choses pèsent sur les choix d’orientation : les parents et les profs, mais aussi les classements d’écoles, le marketing très léché d’établissements privés, et le fait qu’on accorde plus de reconnaissances aux enseignements « intellectuels » que « manuels ». »

L’ancien inspecteur d’académie Bruno Magliulo, auteur de SOS Parcoursup (éditions L’Opportun) complète : « Il faut dédramatiser l’orientation vers les voies technologiques et professionnelles, que les familles trouvent trop souvent moins attractives que la voie générale. Pire : qu’elles considèrent fréquemment comme un échec. Pourtant, mieux vaut s’épanouir en tant que futur plombier qu’errer sans réelle perspective en fac de lettres. »

Pour Vincent Troger, ces réorientations en cours d’études sont symptomatiques d’une génération en quête de sens. « Pour les générations passées, le tout était d’avoir un boulot, le meilleur possible. Le rapport à l’éducation et à la réussite a radicalement changé. Désormais, la jeune génération cherche à s’épanouir. »

Fanny, Yacine, et Wilhem ont trois ou quatre ans de plus que les étudiants de leur promo. Mais ils ont enfin le sentiment d’avoir trouvé le cursus qu’il leur sied. Et Fanny de conclure : « Certes, j’ai pris du retard dans mes études mais ce ne sont pas des années perdues. J’ai appris des choses, rencontré des gens intéressants, j’ai appris à me connaître. Ce n’est pas un échec. »

LES CONSEILS DE JUSTINE DELAHAYE POUR LES PAUMÉS DANS LES ÉTUDES

· Faire un service civique. Un outil qu’on peut voir comme un tremplin, un break ou un plan de secours en cas de désillusion, ou de déception sur Parcoursup.

· S’accorder un break. Vendre des chouchous sur la plage, faire le Tour d’Europe à vélo ou retaper une grange avec des néoruraux. De quoi faire de belles rencontres et découvrir des métiers.

· Miser sur l’éducation hors les murs. Tester sur le terrain, faire du bénévolat, se former avec les MOOCs, des chaînes YouTube…

· Miser sur le mentorat. Il existe de nombreuses structures pour accompagner ton cheminement : le dispositif 1 jeune, 1 mentor mis en place par le gouvernement, les programmes des associations Article 1 ou Powa, etc.

Chloé Marriault