400 M€ en moins pour le CPF en 2023 : la fin du « reste à charge » ?

 MANAGEMENT DE LA FORMATION LE 19 SEPTEMBRE 2023

Les dépenses liées au compte personnel de formation (CPF) sont en recul pour la 2e année consécutive en 2023, après un pic en 2021. En conséquence, la participation financière des stagiaires (le « reste à charge ») n’est plus à l’ordre du jour, a annoncé le ministre du Travail. La dépense liée au CPF est-elle désormais sous contrôle ?

Sommaire
La dépense CPF continue à reculer
Le « reste à charge » repoussé sine die
La pérennisation du CPF : une équation fragile

La dépense CPF continue à reculer

Depuis 2022, plusieurs institutions, dont France Compétences et la Cour des comptes, tirent la sonnette d’alarme : le système de formation ne serait plus financé. Le principal coupable désigné est l’alternance ; mais le compte personnel de formation (CPF) figure également parmi les sources d’inquiétude. En cause : l’absence de tout mécanisme régulateur de la dépense potentielle. En ordre de grandeur, 20 millions de salariés reçoivent chaque année 500 € sur leur CPF, ce qui représente aux alentours de 10 Mds d’euros de dépense formation virtuelle par an. Et ces montants s’accumulent.

L’an dernier, nous analysions 8 pistes d’action possibles. Parmi ces différents, l’Etat, la Caisse des dépôts et France Compétences ont privilégié dans un premier temps le resserrement du nombre de formations finançables. Cela a pris la forme d’une lutte accrue contre la fraude et d’une application plus stricte des critères d’éligibilité.

Les résultats se sont fait sentir dès 2022, avec une stabilisation à la mi-année de la dépense CPF. À partir du 3e trimestre 2022, selon les données de la Caisse des Dépôts en open data, les montants engagés au titre du CPF ont entamé une baisse continue, passant des alentours de 700 M€ par trimestre à environ 500 M€ – soit le niveau atteint au dernier trimestre 2020.

Dans une interview au journal L’Opinion du 14 septembre 2023, le ministre du Travail Olivier Dussopt estime que « Grâce au nettoyage du catalogue des formations, à la lutte contre les fraudes et à la sécurisation du portail d’inscriptions, le CPF devrait finalement coûter un peu plus de 2 milliards d’euros en 2023, soit 400 millions d’euros de moins que prévu initialement. »

France Compétences avait en effet budgété 2,375 Mds€ pour 2023 au titre du CPF. À mi-année, on était à 1 Md€, contre 1,4 Md€ au premier semestre 2022.

Le « reste à charge » repoussé sine die

En conséquence, le ministre estime que l’autre proposition avancée pour réduire le coût du CPF, à savoir l’obligation du « reste à charge », n’était plus une priorité.

Le reste à charge, rappelons-le, avait pourtant fait l’objet d’une mesure dédiée dans la loi des Finances pour 2023. Le code du Travail, depuis cette loi, établit que « Le titulaire participe au financement de la formation » lorsqu’il fait appel aux sommes présentes sur son CPF. Cette participation financière obligatoire du bénéficiaire de la formation peut être qoit « proportionnelle au coût de la formation, dans la limite d’un plafond, ou fixée à une somme forfaitaire ». Elle n’est pas due par les demandeurs d’emploi, et elle peut être prise en charge par l’employeur sous la forme d’un abondement.

Cependant, pour être opérationnelle, cette mesure requiert un décret en conseil d’Etat qui n’est jamais venu. Dès janvier 2023, à l’université d’hiver de la formation professionnelle, la ministre déléguée Carole Grandjean omettait déjà d’évoquer le sujet. La rédaction du décret s’est semble-t-il heurtée à des difficultés juridiques, relatives notamment, selon Les Echos, à la définition précise des cas d’exonération.

L’intervention du ministre du Travail laisse entendre que le décret serait repoussé sine die. Même si « l’idée est toujours à l’étude », a-t-il pris soin de préciser. L’opposition des Acteurs de la Compétences (fédération professionnelle des organismes de formation) et d’une partie des partenaires sociaux à cette mesure a pu également jouer, alors que les travaux sur une prochaine réforme sont prévus pour commencer à l’automne. L’interview du ministre nous apprend cependant que la question de la formation risquait d’être délayée au sein d’un vaste ensemble qui comprend « l’emploi des seniors, le compte épargne temps universel (Cetu) et les parcours professionnels ». Un document d’orientation commun serait envoyé mi-octobre, pour un accord à négocier dans les 4 mois et une loi au printemps 2024.

La pérennisation du CPF : une équation fragile

La piste du reste à charge ne visait pas officiellement à réduire la dépense du CPF, mais à mieux la cibler sur les formations à objectif professionnel. Une étude de la Dares parues en février 2023 ont permis d’en savoir un peu plus sur les usages du CPF. Il en ressortait que 8 formations sur 10 poursuivaient au moins un objectif professionnel.

Selon cette étude, seules 17% des formations financées par le CPF ne répondaient à aucun objectif professionnel. Ces formations étaient souvent suivies par des seniors (des personnes de 60 ans et plus à hauteur de 20%). Elles portaient presque la moitié du temps sur des formations en langue ou en bureautique – dont on peut penser qu’elles ont un effet potentiel sur l’employabilité, même en l’absence de finalité professionnelle immédiate.

Par ailleurs, seuls 8% des dossiers CPF, au total, faisaient l’objet (en septembre 2022) d’un financement complémentaire du bénéficiaire. Il est donc raisonnable de penser que l’institution d’un reste à charge aurait eu, dans les faits, un réel effet dissuasif sur le recours au CPF. Dans le même temps, le caractère relativement marginal des formations « pour le plaisir », ne répondant à aucun objectif professionnel avoué, aurait réduit l’effet qualitatif de la mesure. On comprend donc qu’elle ait été, au moins pour le moment, mise au placard.

Le CPF reste un outil ambigu. On attend de lui qu’il permette aux actifs de prendre en main leur formation professionnelle continue, au bénéfice de l’emploi et de l’économie dans son ensemble. Mais on espère aussi qu’ils n’y auront pas trop recours, aucun mécanisme n’étant prévu pour en encadrer le financement. Le resserrement des critères d’éligibilité a, pour le moment, contenu l’incendie qui semblait hors de contrôle en 2021. Le « frein » du reste à charge est donc jugé superflu. Mais on ne peut exclure que le gouvernement le ressorte à un moment ou à un autre : le code du Travail, tel qu’issu de la loi de Finances pour 2023, lui en donne à tout moment le moyen, par simple publication d’un décret.

Pour les entreprises, la fin (momentanée ou non) du « reste à charge » n’est pas forcément une bonne nouvelle : le fait que les salariés pouvaient mobiliser leur CPF sans participation personnelle dès lors que l’employeur abondait le financement représentait un levier intéressant pour le responsable formation et l’ingénierie financière du plan de développement des compétences. La perspective de pouvoir bénéficier du CPF comme financement d’appoint de la formation professionnelle dans l’entreprise s’éloigne donc.