La feuille de route de la prochaine réforme de la formation

@BY RHEXIS

La feuille de route de la prochaine réforme de la formation

 MANAGEMENT DE LA FORMATION LE 20 SEPTEMBRE 2022

Faut-il parler de réforme ou d’ajustements ? La ministre déléguée à l’Enseignement et à la formation professionnels, Carole Grandjean, vient en tout cas d’annoncer les grandes lignes du volet « formation » des prochaines mesures prises autour du travail. Comme de coutume, sur les thématiques emploi-formation, les partenaires sociaux auront leur mot à dire. Le choix et le cadrage des sujets laissent cependant entrevoir certaines pistes, et aussi certaines contradictions.

Sommaire
Une réforme, pour quoi faire ?
L’apprentissage : maintenir la dynamique sans se ruiner
CPF : recentrer les achats vers les besoins des entreprises
Relancer la VAE
Former aux métiers de demain et lutter contre l’illettrisme

Une réforme, pour quoi faire ?

2004, 2009, 2014, 2018 : il ne se passe jamais 5 ans sans une réforme de la formation professionnelle. 2023 verra donc selon toute vraisemblance de nouvelles mesures sur le sujet. Il n’y aura probablement pas de réforme systémique, de l’ampleur des deux dernières. On s’oriente davantage vers un scénario analogue à celui de 2009, avec des avancées et des ajustements qui s’insèrent dans la continuité des réformes précédentes. Une sorte de point quinquennal sur l’évolution des nouvelles institutions, en somme. Qui ne passera pas nécessairement par un texte unique.

À la différence de ce qui s’est passé 2018, la formation n’occupe pas les devants de la scène. Elle n’apparaît que dans 2 des 8 chantiers prioritaires présentés par Olivier Dussopt (ministre du Travail) et Carole Grandjean aux partenaires sociaux lundi dernier, censés préparer la voie pour le « plein emploi en 2027 ». Les vedettes de l’année seront la création de France Travail (réunissant l’ensemble des acteurs de l’insertion des chômeurs) et la réforme des retraites.

Les 2 chantiers « formation », portés par Carole Grandjean, seront quant à eux déclinés en 5 axes :

  • L’apprentissage ;
  • Le CPF ;
  • La VAE ;
  • Les transitions professionnelles ;
  • L’illettrisme.

L’apprentissage : maintenir la dynamique sans se ruiner

La promotion de l’apprentissage pose un problème cornélien. Le nombre de contrats a connu un essor spectaculaire en 2021, atteignant 733 000 nouveaux apprentis dans l’année, soit 38% de plus qu’en 2020 et même deux fois plus qu’en 2019. Une part non négligeable de ce succès est dû aux aides exceptionnelles versées depuis l’été 2020, qui annulent en pratique le coût de la première année d’embauche d’un apprenti pour l’entreprise. Les aides, rappelons-le, ont été reconduites jusqu’à la fin de l’année 2022. Comment conserver cette dynamique tout en réduisant les coûts ?

Des objectifs contradictoires

D’une part, le dispositif coûte très cher à l’État. En pratique, et sans surprise, le doublement du nombre de nouveaux contrats s’est accompagné d’un doublement du coût de l’apprentissage (à 11,4 Mds€ en 2021). D’autre part, l’augmentation du nombre d’apprentis s’est concentré sur les niveaux de formation les plus élevés (bac+2 à bac+5). Beaucoup d’observateurs considèrent que les fonds publics seraient mieux utilisés à se concentrer sur les moins qualifiés.

Le ministère annonce vouloir « amplifier la dynamique de l’apprentissage » et atteindre 1 million d’apprentis par an. Au 30 juin 2022, selon la Dares, 80 500 contrats d’apprentissage avaient été conclus depuis le début de l’année, soit seulement 8% de plus qu’au premier semestre 2021. Or, il faudrait une croissance de 36% pour atteindre 1 million d’apprentis à la fin de l’année 2022. L’essentiel des contrats étant signés en septembre, il faudra attendre quelques semaines pour savoir si le pari a une chance d’être tenu. Mais au-delà de cette année, si les financements sont resserrés en 2023, la dynamique se poursuivra-t-elle ?

chiffres de l'apprentissage 2018-2022 - Dares

La valse des coûts-contrats

L’enjeu financier repose sur deux leviers : le coût au contrat, c’est-à-dire le montant versé par les pouvoirs publics aux CFA pour chaque apprenti, et l’aide exceptionnelle, versée aux entreprises.

Les coûts-contrats sont déterminés par les branches, et à défaut d’accord par France Compétences. En juin dernier, il avait été décidé de réduire progressivement les coûts-contrats, de 5% en septembre puis à nouveau de 5% en avril 2023. Devant la levée de boucliers des CFA, les autorités ont fait marche arrière fin août pour une partie des certifications (275 sur 3 289), pour lesquelles la baisse de septembre a été reportée. Pour ces certifications, il y aura bien des réductions des coûts-contrats, mais plus réduites et à partir d’octobre.

A terme, la baisse du coût-contrat est-elle compatible avec l’objectif d’1 million d’apprentis par an ? Il peut y avoir un effet négatif sur l’offre (la création de CFA), mais aussi sur la demande, si les entreprises se voient demander un reste à charge pour les frais pédagogiques. Le ministère, dans sa feuille de route, annonce quant à lui la garantie d’un « financement des contrats au juste prix », c’est-à-dire vraisemblablement un ajustement à la baisse.

Le sort de l’aide exceptionnelle

L’aide exceptionnelle versée depuis 2 ans aux entreprises qui embauchent en alternance sera elle aussi sur la sellette. Une piste évoquée consiste à la réserver aux embauches d’apprentis non ou faiblement diplômés. Or, on l’a vu, les apprentis du supérieur représentent le gros des troupes des nouveaux arrivants des deux dernières années. Il est assez probable que les entreprises recourront moins à cette filière si elle est plus coûteuse. Les autorités comptent probablement sur l’inertie des habitudes prises et sur les vertus intrinsèques de l’alternance. L’avenir nous le dira.

CPF : recentrer les achats vers les besoins des entreprises

La problématique du compte personnel de formation (CPF) est similaire : on se réjouit de son succès, mais on se plaint du coût. Depuis de nombreux mois, les partenaires sociaux réclament une restriction du champ des formations accessibles via le CPF. Ils ont manifestement été entendus.

Carole Grandjean annonce en effet vouloir « faire en sorte que le catalogue du Compte Professionnel de Formation [sic]soit mieux orienté et plus utile aux actifs et aux entreprises. Il doit être un outil pour tous les actifs face aux mutations de l’économie ».  Le lapsus « compte professionnel » est sans doute involontaire, mais il incarne bien la nouvelle direction que le gouvernement souhaite donner à l’outil ! Le CPF ne doit pas servir simplement au développement personnel, mais avant tout aux objectifs professionnels des individus et des entreprises.

Là encore, le débat tourne autour du coût du CPF, dont la Cour des comptes a dénoncé l’explosion en 2021. Deux leviers sont actionnables : la réduction de la fraude et la limitation des formations finançables. Aucun des deux n’institue cependant un financement maîtrisé du CPF.

La réduction de la fraude a déjà fait l’objet d’initiatives depuis 2021. Le grand ménage fait parmi les certifications fin 2021, le renforcement des contrôles par la CDC et la nouvelle proposition de loi contre le démarchage téléphonique vont dans ce sens. Les résultats sont déjà perceptibles : la dépense CPF tend à se stabiliser.

Pour aller plus loin, il faudra redéfinir le champ des formations finançables. En pratique, cela se traduira-t-il par un niveau de contrôle des entreprises et/ou des Opco sur l’acte d’achat ? La création de la plateforme Mon Compte Formation avait totalement désintermédié – et sans doute décomplexé – le recours aux fonds du CPF. On peut imaginer des barrières sélectives en fonction du type de formation. Par exemple, le CEP ou Pôle emploi pourraient valider les dossiers CPF concernant les bilans de compétences ou les formations à la création d’entreprise. L’employeur, l’Opco ou Pôle emploi pourraient intervenir en amont du financement d’un permis de conduire. L’objectif étant de s’assurer que le CPF est toujours mobilisé dans un objectif professionnel.

Relancer la VAE

La validation des acquis de l’expérience, dont on attendait beaucoup lors de sa création il y a 20 ans, n’est pas au mieux de sa forme. Dans un contexte de forte demande de compétences et de reconversions professionnelles, elle devrait pourtant avoir le vent en poupe. Le rapport Rivoire, paru en 2022, identifie les freins au développement de la VAE et formule des propositions.

Le projet de loi sur l’Assurance chômage soumis fin août aux partenaires sociaux contient déjà un volet VAE : il s’agit surtout de l’ouvrir aux proches aidants, pour la validation de leur expérience dans la prise en charge des personnes dépendantes. On la retrouve dans les 5 axes proposés par Carole Grandjean, qui parle de simplifier et sécuriser la VAE, de la rendre « plus attractive et plus accessible, à l’appui notamment de l’évolution et de la reconversion des actifs ». L’objectif est d’atteindre 100 000 parcours par an, soit 3 fois plus qu’en 2021. A noter qu’il ne s’agit pas de 100 000 VAE réussies, mais de présentations de dossiers. En 2020, seuls 61% des candidats ont vu leur demande couronnée de succès.

Quels seront les leviers retenus ? Les partenaires sociaux devront en débattre. Les propositions ambitieuses du rapport Rivoire, mais aussi les résultats des deux expérimentations conduites sur le sujet en 2021-2022 fourniront de la matière. La question des jurys sera centrale – comment parvenir à en réunir suffisamment et dans des délais courts? Le passeport de compétences sera sans doute au menu, ainsi que les badges numériques.

Former aux métiers de demain et lutter contre l’illettrisme

Les deux autres axes annoncés par la ministre déléguée sont moins spécifiques, mais non moins importants. « Transformer l’appareil de formation initiale et continue pour former aux métiers de demain » est un programme ambitieux, qui dépasse le champ de la formation professionnelle des salariés. La volonté de « mieux accompagner les transitions professionnelles », en revanche, les concerne directement. En jeu, la simplification de l’accès aux dispositifs visant à aider les reconversions, qui tendent à se multiplier, avec TransiproTranscoPro-A

La lutte contre l’illettrisme, enfin, concerne également les entreprises et les salariés. « Parce que nous devons lutter contre ce fléau au travail qui touche 1 actif sur 10, nous poursuivrons les efforts pour mieux former les salariés aux savoirs fondamentaux », précise Carole Grandjean. L’insertion des publics les plus éloignés de l’emploi passe en effet par un effort de formation soutenu, sont les conditions de déploiement et la prise en charge seront à nouveau débattues.

Il n’est pas dit que l’on parlera de « réforme de la formation » en 2023, mais il est clair que le faisceau de décisions qui s’annonce sur la question aura une influence significative sur l’accès à la formation des salariés, sur les financements de nos plans de développement des compétences et sur la gestion de la formation en général. Nous suivrons attentivement les différents développements de cette feuille de route au fil des mois.